Is ESG Dead?

Une récente enquête de la Fondation pour l’Innovation Politique, recensant les opinions de plus de 23 000 citoyens Européens avant les élections, est sans appel. Hormis la guerre en Ukraine, les thèmes de préoccupation majoritaires des Européens sont les inégalités économiques et sociales d’une part et l’immigration illégale d’autre part. Alors que ces deux thèmes semblent aujourd'hui définir le paysage politique, les considérations liées au réchauffement climatique sont reléguées au 6e plan, et la proportion de députés verts à l’échelle européenne et nationale est en nette baisse. Aux Etats-Unis, une victoire prospective de Trump porterait à nouveau les questions climatiques en bas de l’échelle des priorités.

Ce désintérêt pour la question écologique pourrait-il nous décourager ? Une perspective systémique nous conduit au contraire à penser que l'environnement doit être, plus que jamais, au cœur de nos réflexions. La transition écologique conditionne, sur le long terme, les enjeux économiques, sociaux et géopolitiques qui préoccupent les citoyens.

Fin du monde versus fin du mois

Pour beaucoup, l’écologie et la transition énergétique sont des préoccupations lointaines : une “idéologie urbaine bobo” dont ne peuvent se préoccuper ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois. Pourtant c’est bien l’exploitation des énergies fossiles qui a permis une hausse significative du PIB Mondial depuis la révolution industrielle.  A l’inverse, alors que l’accès à ces ressources est en passe de se tarir1, beaucoup d’observateurs anticipent une contraction économique inéluctable. Ainsi, au lieu d’opposer les considérations écologiques aux préoccupations financières des citoyens, il faudrait plutôt rapprocher ces sujets et les politiques publiques qui leur sont associées. Une transition énergétique planifiée (plutôt que subie) permettrait de limiter l’impact économique de la finitude des ressources énergétiques (et plus largement du capital naturel).

Les chocs économiques et les inégalités risquent de se multiplier à mesure que les catastrophes climatiques s’accroissent

Vagues de chaleur, acidification des océans (et élévation de leurs niveaux), baisse des rendements agricoles liés aux aléas climatiques et à l’épuisement des sols… Autant de changements qui menacent la croissance en contribuant à des déplacements de population, des mouvements sociaux et à la dépréciation drastique de certains actifs. Selon la Banque de France, les scénarios d’une transition “désordonnée” (sans planification) conduisent à des impacts de -2,1% et de -5,5% sur le PIB français d’ici 2050. Ce scénario conduirait de plus à renforcer les inégalités, au niveau national et mondial. On peut d'ores et déjà le constater avec la hausse des factures énergétiques dont le poids proportionnel est plus important pour les foyers les plus pauvres. Ces coûts pourraient être perçus comme d’autant plus injustes que ce sont les pays et individus les plus riches qui contribuent le plus largement au dérèglement climatique, entre autres pour leurs loisirs.

Les 10% plus gros émetteurs de CO2 sont responsables de 50% des émissions.

Sur la base de ce constat, on anticipe facilement la manière dont l’accroissement des chocs économiques et des inégalités contribuera à un monde instable au sein duquel le populisme pourrait prospérer, en faisant croire aux populations que la seule contestation de l’ordre établi résoudra les problèmes, détournant par-là même l’attention des problèmes physiques sous-jacents et des changements structurels qui devraient en découler.

Le rapport souligne également le fait que le pouvoir d'achat et la croissance économique ne peuvent être les seuls indicateurs pertinents pour mesurer le bien-être des populations et les inégalités structurelles d’accès à la qualité de vie, la santé, les soins et  l'éducation.

Quelles pistes de planification ?

Compte-tenu des liens entre changement climatique, difficultés économiques et accroissement des inégalités, il est essentiel d’articuler les politiques publiques de transition à leurs effets sur les inégalités présentes et futures. Comme l’a démontré la crise des gilets jaunes2, la transition écologique ne réussira que si elle est majoritairement perçue comme équitable pour déployer des efforts et investissements nécessaires.3 Une simple “taxe” ne suffit pas car elle implique que les parties-prenantes les plus responsables du problème climatique continuent d’accéder aux mêmes services en payant plus cher, alors que les plus pauvres n’y ont plus accès.

En 2023, sur demande d’Elisabeth Borne, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, respectivement ancien commissaire général et inspectrice générale des Finances, ont publié en 2023 un rapport très détaillé sur ces questions : Les incidences économiques de l’action pour le climat | France Stratégie (strategie.gouv.fr)

Quelques points clés :

  • D’entrée de jeu le rapport pose les bases “Ce n’est pas par la décroissance qu’on atteindra la neutralité climatique. C’est certes en mobilisant les marges de sobriété, mais surtout en décarbonant l’énergie par la substitution de capital aux énergies fossiles et en réorientant le progrès technique vers les technologies vertes”. 

  • Pour y parvenir (et afin d’honorer les objectifs climatiques de la France), des investissements colossaux seraient nécessaires : la France devrait déployer 100 milliards d’investissement d’ici 2030. 

  • La plupart de ces investissements seraient très difficiles à supporter pour les ménages les moins aisés. Par exemple, selon le rapport, la rénovation d’un logement, le changement du système de chauffage et l’acquisition d’un véhicule électrique en remplacement d’une voiture thermique représentent un investissement de l’ordre d’une année de revenu pour une ménage moyen en France. 

Ainsi, même une approche qui donne la priorité à l'équilibre économique plutôt qu'à l'action climatique radicale fait le constat de la nécessité de fortes actions de redistribution et de partage des efforts.4 Le rapport examine plusieurs possibilités de financement : 

  1. L’arrêt de dépenses fiscales brunes, essentiellement des détaxes de combustibles pour certaines professions. L’exemption de taxes sur le kérosène pour les avions, représente un manque à gagner de 34,2 milliards d’euros de recettes fiscales/ an en Europe, selon certaines estimations.

  2. L’endettement : “tout miser sur cet aspect serait “imprudent” concède le rapport qui précise que convaincre les agences de notation de cette approche est un défi qui mérite d’être exploré.

  3. Une fiscalité temporaire des plus hauts revenus: des prélèvements obligatoires, et exceptionnels s’appliquant aux ménages les plus aisés afin de «montrer que tout le monde participe à l’effort». 

Ces investissements auront à moyen terme un effet positif sur la croissance en relançant la demande. Mais parce qu’elle sera orientée vers la réduction des énergies fossiles plutôt que vers l’extension des capacités de production, la transition implique un ralentissement temporaire de la productivité de nouveaux besoins sur le marché du travail

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