La transition agro-écologique - retour vers le futur?
Impact environnemental : un secteur à la fois émetteur et capteur
Parce qu’elle convoque des sujets essentiels qui nous impactent directement (sécurité alimentaire, santé, biodiversité, économie, social, climat, énergie), la question agricole suscite souvent des débats passionnés. Industrie prometteuse selon les uns, destructrice pour d’autres, il semble souvent difficile de réconcilier les perspectives.
Guillaume Fournidier (le créateur de la newsletter le Plongeoir dont nous recommandons vivement la lecture) qualifie de « double effet kiss cool » la coexistence des externalités positives et négatives liées à l’agriculture.
Kiss Cool #1 💫 : les terres agricoles représentent près de 40 % de la superficie terrestre et génèrent environ 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde (1/4 des GES en France).
🔥 Du méthane (majoritairement lié à l’élevage bovin)
🔥 De l’azote (lié aux bactéries du sol à la suite de l’application d’engrais)
Kiss Cool # 2 💫 : les sols sont l’un des plus puissants leviers de séquestration du carbone. A la fois les surfaces non cultivées (jachères, haies, bandes enherbées, mares etc.) mais aussi celles exploitées via des modes de production optimisés pour restaurer la capacité des terres à capter du CO2.
Impact social : cultiver moins pour nourrir plus (et moins cher !)
Pour répondre à sa vocation nourricière, l’agriculture fait face à un défi de de taille : d’ici 2050, la population mondiale va passer de 8 milliards à 10 milliards. Autant de bouches à nourrir. 🍽️👪
Cet impératif se heurte à 5 évolutions majeures :
🍽️ Changement des habitudes alimentaires. En seulement 50 ans, notre consommation a considérablement évolué au profit d’aliments carnés qui nécessitent une agriculture plus intensive. Si la consommation de viande diminue légèrement en France et en Europe depuis les années 1980, elle continue d’exploser dans le monde.
💰Baisse des budgets. Grâce à l’augmentation des rendements agricoles, la .part du revenu des ménages consacrée à l’alimentation a chuté. En France, le budget alimentaire a été divisé par 2 depuis les années 1960..
🌱 Diminution des surfaces cultivables : Selon les estimations, chaque seconde, 26m² de terres agricoles disparaissent en France.
L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture avait alerté sur ce point dès 2016 : 1/3 des terres arables dans le monde risque de disparaître à cause de l’urbanisation et de la dégradation des sols.👨🌾 Baisse de la population agricole au profit de grands propriétaires :
La croissance du secteur tertiaire et la diminution de la main-d’œuvre agricole favorisent le regroupement des terres et l’augmentation la taille des exploitations. Selon les estimations, 1% des plus grosses exploitations dans le monde représente plus de 70 % des terres agricoles, avec un impact significatif sur les problématiques d’accès au foncier et le déclin de la biodiversité.Changement climatique : Sécheresses et inondations se succèdent avec un impact significatif sur les rendements.
🤔Dans ce contexte, comment répondre à toutes ces injonctions parfois contradictoires ?
Option 1 : la fuite en avant 🏃♂️
Coup de théâtre à Bruxelles. Le mois dernier, la Commission européenne a proposé de renouveler l’autorisation du glyphosate pour les 10 prochaines années. Cette décision controversée a été repoussée. Un nouveau vote aura lieu le mois prochain.
Dans l’ensemble, malgré les objectifs de réduction ambitieux annoncés par la France et l’Union Européenne, l’utilisation de produits phytosanitaires en France et en Europe ne diminue pas.
Autre événement récent dans la série des rétropédalages : cet été, le Conseil d’Etat a annulé une décision datant de 2019 qui interdisait la vente hors saison de tomates et autres légumes bios cultivés sous serre. Or une tomate française cultivée en serre produit 7 fois plus de gaz à effet de serre qu'une tomate de saison et 4 fois plus qu'une tomate importée d'Espagne.
Option 2 : Miser sur le Bio 🌱🛒
Beaucoup avaient placé de grands espoirs dans l’essor de l’agriculture biologique. Entre 2016 et 2021 la surface des terres bio a effectivement doublé en France, faisant de l’Hexagone un leader Européen.
Toutefois depuis 2021 – la consommation a chuté, provoquant une fermeture en cascade des enseignes bio. Les chiffres sont vertigineux : déclin de 1,8% en 2021 et 8,6% en 2022
Ce déclin n’est pas seulement dû à l’inflation. Certes les prix sont plus chers (un produit bio coûte en moyenne 30% de plus que son équivalent conventionnel) mais la baisse était amorcée avant la guerre en Ukraine5. Parmi les autres facteurs incriminés :
🌍🌿Boom de l’offre. Flairant la tendance à la hausse, les acteurs de la grande distribution s’étaient empressés de racheter des enseignes spécialisées et de multiplier les produits en magasins : au final l’offre était devenue supérieure à la demande.
🌍🌿Bio = pas toujours écolo. Pierrick de Ronne, l’ancien président de Biocoop résume : « L’industrialisation du secteur a entamé la confiance dans le label bio, avec des ingrédients qui ont parcouru des milliers de km et des produits sous plastiques, ou affichant un nutriscore E.”
🌟🔍Mirages des labels et du local. Deux autres tendances ont contribué à détourner l’attention des consommateurs.
✅ La multiplication des labels alimentaires a créé des confusions. Par exemple le Label « Haute Valeur Environnementale » (HVE), activement promu par certaines enseignes de distribution, qui le présentent comme une alternative à la fois saine et plus économique au bio. Dans les faits, en cherchant à « embarquer » le plus grand nombre, le label a perdu de sa substance et tolère de nombreuses pratiques peu durables, dont l’utilisation de pesticides cancérigènes. (Au passage ces problématiques nous rappellent celles concernant les labels durables dans d’autres secteurs).
✅ Le local - si l’aide aux producteurs de proximité est une bonne nouvelle pour la résilience des territoires et l’impact environnemental du transport, acheter local ne préjuge en rien de l’impact sur la santé des consommateurs et sur la biodiversité.
Face au déclin du bio, certains agriculteurs envisagent des « déconversions », même si ce phénomène reste encore minoritaire.
Option 3 : Changer de paradigme 🔄 🌳
👨🌾 Encourager l’émergence d’une nouvelle génération d’agriculteurs
De belles initiatives existent pour démocratiser l’investissement dans la terre. Par exemple, Fermes en Vie (FEVE) ou Hectarea. La revalorisation de la filière exigera aussi de gros efforts de financement, de formation, et de simplification des démarches administratives parfois ubuesques.
🍽️ Adapter notre alimentation
Restaurer l’image/ l’usage du bio est une étape mais pas une fin.Dans le Plan de transformation de l’économie française, les chercheurs du think tank du Shift Project présidé par J.M. Jancovici, préconisent de réduire les volumes d’alimentation animale pour privilégier la qualité et la durabilité.
-Diminution d’1/3 de la production de lait et d'œufs,-Division par 2 des produits de la pêche,
-Réduction par 3 de la production de viande
🌍 Changer la géographie des cultures
Comme l’explique l'agro-climatologue Serge Zaka : « Avec le changement climatique (…) les régions du monde les plus septentrionales vont découvrir de nouvelles cultures, voire des hausses de rendements. À l’inverse, au sud, certaines cultures vont perdre en potentiel. Il faut se poser la question : qui va prendre la relève ? L’Espagne ne pourra plus être le verger de l’Europe, tel qu’il est actuellement. » Les États ont un rôle essentiel à jouer pour réorganiser les filières.
🌾 Diversifier les pratiques agricoles
En promouvant des pratiques comme l'agroforesterie, la rotation fréquente des cultures et la diversification des variétés, l’agroécologie cherche à établir un équilibre entre la production agricole, la préservation de l'environnement et la résilience des économies locales.
Une utopie hors-sol, objectent certains. Pas si sûr…. Depuis 2013, la Fondation de France a soutenu 324 projets prometteurs en lien avec la transition agroécologique. Même de gros industriels tels que Mac Donald’s (vous avez bien lu !) s’y intéressent de près, avec plusieurs projets en France.Certes, des défis subsistent, notamment la possible diminution des rendements, mais l'agroécologie permet une approche systémique intéressante pour tenter de fédérer les parties prenantes et réconcilier les impératifs de nutrition et santé ainsi que de l'environnement et de l'économie.
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