The (corporate) clash. Should I stay or should I go?

Est-il possible de faire évoluer les organisations de l’intérieur?

Interviewée récemment à ce sujet, l’universitaire américaine Alison Taylor (professeure à NYU, qui a consacré de nombreux travaux passionnants à cette question), explique : "Les choses seraient plus facile si nous étions passé des théories de Milton Friedman au capitalisme des parties prenantes. Le problème, c'est que les pressions liées à la valeur actionnariale à court terme n'ont pas disparu. Et nous avons ajouté à cela de nouveaux impératifs liés à la durabilité. Équilibrer ces intérêts est plus facile à dire qu'à faire."

Alors que la fable largement documentée d’une décorrélation2 entre les émissions de CO2, la destruction du vivant et la croissance économique est de moins en moins crédible, est-il possible de concilier ces injonctions contradictoires? 🤔

Alison Taylor ajoute : "Il s'agit d'un débat très polarisé. D'un côté, il y a un groupe de personnes qui disent "tout cela n'a aucun sens, c’est du wokisme, nous devons recommencer à faire du profit". De l'autre, ceux convaincus par les exigences ESG, y compris les générations d’employés plus jeunes et plus progressistes, qui jugent que rien de ce que vous pouvez faire ne sera jamais assez bien (...)".

Trop pour les uns, pas assez pour les autres. L’ambition de faire évoluer le système de l'intérieur n’est-elle pas inexorablement vouée à l’échec ? Plutôt que de perpétuer une illusion, ne devrions nous pas adopter une posture plus réaliste : ce sont les catastrophes liées aux limites planétaires qui forceront le changement. D’ici là pour ceux qui veulent s’engager, autant trouver d’autres voies et préparer “le monde d’après” ?
Ci-dessous un aperçu du champs des possibles:

Le péril jeune 🚨

“Nous pensons que l'innovation technologique ou les start-up ne sauveront rien d'autre que le capitalisme;
Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte, ni à la "transition écologique", une expression qui sous-entend que la société pourrait devenir soutenable sans qu'on se débarrasse de l'ordre social dominant (…).
Nous nous adressons à celles et ceux qui doutent,
A vous qui espérez changer les choses de l'intérieur et n'y croyez déjà plus vraiment,;
A vous qui avez peur de faire un pas de côté parce qu'il ne ferait pas bien sur votre CV, De vous éloigner de votre famille et de votre réseau (…).
Ne perdons pas à notre temps et surtout ne laissons pas filer cette énergie avant d'être coincé par des obligations financières;
N'attendons pas que nos mômes nous demandent des sous pour faire du shopping dans le métavers parce que nous aurons manqué de temps pour les faire rêver à autre chose;
N'attendons pas d'être incapable d'autre chose qu'une pseudo reconversion dans le même taf mais repeint en vert;
N'attendons pas le 12e rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n'ont jamais rien fait.”

Beaucoup se souviennent de ce discours radical prononcé par 8 étudiants de la célèbre école Agro-Paris tech en Mai 2022, appelant leurs camarades à « bifurquer ». Dans la foulée, d’autres étudiants de nombreuses grandes écoles leur emboitent le pas avec des prises de parole engagées aux remises de diplômes. Les associations étudiantes consacrées à l’écologie prennent de l’ampleur avec notamment HEC Transitions et ESCP Transition Network. Le mouvement du Manifeste écologique rassemblant les revendications des étudiants recueille plus de 30 000 signatures.

Désertion de masse? 🏃‍♂️ 💨

Malgré cet engouement largement relayé par les médias, gardons-nous de croire à une véritable révolution. Chaque année l’institut Universum observe cette tendance dans un sondage mené auprès de 30 000 étudiants en France. A la question « Seriez-vous prêts à postuler dans une entreprise qui n'est pas en phase avec leurs valeurs ? » 59 % ont répondu qu'ils pourraient le faire tant que le salaire et la mission leur conviennent3.  Ces résultats vont dans le sens d’une autre étude menée par Deloitte en 2023 auprès de plus de 20,000 personnes dans 20 pays : l’ESG n’est pas un facteur décisif pour la majorité.

Interrogée à ce sujet lors d’une table ronde passionnante, Valentina Carbone Professeur de Sustainability & Supply Chain à l’ESCP note: « il n’y a pas de raz de marée. Le ventre mou demeure majoritaire. Il est engagé mais pas politisé. Ce que j’observe, c’est plutôt une polarisation des étudiants, à l’image de la société”. Sur le même panel, Anne-Fleur Goll, alumni HEC à l’origine d’un discours qui a marqué les esprits en 2022 confirme : « Les revendications des étudiants engagés en faveur de l’écologie sont bien plus radicales aujourd’hui qu’en 2016 ». 

La radicalité a-t-elle sa place au sein des organisations ? 💥 🔄

Des salariés de plus en plus demandeurs…

A l’instar du mouvement étudiant, les études soulignant l'accroissement des attentes des salariés en matière d'engagements ESG se multiplient.

Pour autant, beaucoup pointent le fait que la Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises continue d’être une forme de vitrine superficielle, voire de greenwashing. Avoir des collaborateurs engagés sur ces questions serait acceptable tant que les initiatives se limitent aux écogestes et au recyclage des poubelles… Au-delà, quand un employé refuse de prendre l’avion ou-pire-commence à critiquer le positionnement de l’entreprise – on atteint vite une limite pour rester sur des engagements superficiels où complètement centrés sur le reporting/ les données ESG qui ne mènent à aucune action concrète.

Dans un rapport au titre évocateur « Enough ! A review of corporate sustainability in a world running out of time”, des consultants d’Ernst & Young soulignent une courbe inversée entre les engagements des entreprises aux diverses initiatives internationales ESG et les limites planétaires.

Erica Löfving,  Directrice  Développement Durable pour un groupe de vignerons américain décrit le cas de conscience de certains professionnels : “ Si vous devenez difficile, vous vous exposez à des risques (…). Nous sommes tiraillés entre le fait de dénoncer ce qui, nous le savons, nous met sur la voie du désastre à moyen terme, et l’envie de conserver nos salaires, de faire avancer nos projets (probablement insuffisants) en interne tout en restant dans les bonnes grâces de nos PDGs et de nos conseils d'administration. Empêcher nos collègues de penser que nous sommes d'ennuyeux catastrophistes, prêts à remettre en cause leur mode de vie agréable, leurs habitudes de consommation et leurs belles vacances à Bali. »

A la lecture de ces témoignages on peut se demander s’il est vraiment possible de garder son indépendance d’esprit au sein d’une entreprise. Le pragmatisme pour faire avancer les projets ne conduit il pas à une forme de collusion délétère ?

Beaucoup ne partagent pas cet avis. Devenue consultante chez Deloitte, Anne-Fleur Goll est convaincue qu’il est possible de réconcilier une profonde conviction écologique et une carrière orientée vers l’agenda de la transition. Elle a d’ailleurs conservé son activité de militante chez Extinction Rebellion en parallèle de son job. « C’est une ligne de crête », commente-t-elle.

Essor de l’activisme salarial

De fait, on assiste depuis quelques années à un essor des collectifs de salariés qui peuvent être de véritable moteurs de changement dans le domaine de l’écologie. On citera par exemple les actions menées par des employés de Google ou Amazon.

Ce type d’actions demeurent relativement minoritaire mais leur potentiel n’est pas négligeable. Interrogé dans le cadre d’une étude menée par Deloitte, un échantillon de plus de 2 000 cadres supérieurs dans 24 pays déclare en majorité que l’activisme salarial a un impact significatif sur la stratégie de leur entreprise.

En France, des réseaux de salariés s’organisent, à la fois intra-entreprise mais aussi en externe. Un éco-syndicat (Printemps écologique) a été fondé en 2020 et compte 300 élus dans 60 entreprises. D’autres réseaux très actifs existent, par exemple FEVE ou Les Collectifs.

Si vous êtes tentés de vous engager, voici un aperçu (non exhaustif) des réseaux qui s’offrent à vous.

Pour ceux d’entre nous qui souhaite (ré)concilier leurs convictions écologique avec une carrière “corporate”, le chemin est long, et semé d’embûches. Parmi les (nombreux) défis et questions qui s’imposent à nous :

  • Comment la gouvernance de l’entreprise prend-elle en compte les critères de développement durable ?

  • Ces sujets sont-ils représentés au conseil exécutif, au conseil d’administration, par qui ?

  • Sont-ils pris en compte dans les critères de rémunération ? Comment?8

  • Quel est l’impact réel des initiatives ESG sur le modèle d’affaires de l’entreprise?

  • Comment faire nôtre cette adaptation de la citation de Marc-Aurèle :“Donnez-moi la force de me dissocier de ce qui ne fait que cautionner l’immobilisme, le courage de changer ce qui peut l’être, et la sagesse de distinguer l’un de l’autre” pour s’assurer que nous ne sommes pas devenus une simple caution du système?

Cultiver la “résistance de l’Esprit” en multipliant les perspectives

S’engager ? Bifurquer ? Déserter ? Plutôt que d’opposer ces approches, pourquoi ne pas les concilier en empruntant des passerelles de l’une à l’autre ou en dialoguant avec les acteurs des autres rives.

Une  personne qui a récemment quitté son poste de directeur du développement durable nous confiait récemment : « il est difficile de garder un œil critique.  A un moment « you start believing your own bullshit (en anglais dans le texte). C’est pour cela que je change d’organisation régulièrement. Pour rester le plus lucide possible en multipliant les perspectives. »

Et Anne-Fleur Goll de conclure : «J’étais déçue qu’on cherche à m’opposer au mouvement des AgroParisTech. Les déserteurs vs moi qui reste dans le système. Chacun choisit ses méthodes, on peut les multiplier et évoluer.  La bonne méthode c’est surtout celle qui nous rend heureux, et donc efficace. »

La version intégrale de cet article peut-être consultée sur la Newsletter “Exfiltré.es” auquel nous contribuons tous les mois. Vous pouvez vous abonner à cette newsletter ou consulter les éditions précédentes.

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